Portrait
Peter Bohnenblust
Peter Bohnenblust (59 ans) est le directeur général de Swiss Athletics depuis 2015. Le bernois entretient un lien étroit avec l'athlétisme. De 1979 à 1986, il a été membre du cadre national suisse de décathlon (meilleur résultat : 7170 points). Après sa carrière, il s'est engagé dans sa société de base, la TV Länggasse Bern, en tant que président de l'athlétisme de 1988 à 1996. De 1988 à 1998, il a également été président du comité d'organisation du Meeting international de saut à la perche sur la Bärenplatz à Berne.
Les projets jeunesse sont de plus en plus populaires.
Peter Bohnenblust, les athlètes suisses ont fait les gros titres dernièrement. Qu’avez-vous ressenti ?
Peter Bohnenblust : Les Championnats d'Europe en salle à Torun ont été extraordinaires. Toute une génération de jeunes athlètes a pu célébrer des victoires et les deux médaillées d'or, Ajla Del Ponte et Angelica Moser, ont ouvert de nouvelles voies. Ajla a donné son maximum depuis le Tessin au cours d’une dernière saison compliquée et a de nouveau atteint le niveau de l’élite européenne. Angelica a gagné sa bataille contre elle-même et contre des années difficiles (ndlr : troubles alimentaires). Elle poursuit de manière impressionnante son incroyable série de médailles d’or décrochées aux grands événements internationaux de la jeunesse avec un premier succès au niveau de l’élite.
Nous allons vivre un été olympique. À quoi pouvons-nous nous attendre après cet hiver ?
C'est une question difficile. La situation de départ est prometteuse. Nous sommes bien positionnés. De nombreux athlètes ont montré qu'ils avaient atteint un niveau élevé. Au niveau olympique, cela signifie que les chances de se retrouver en demi-finale semblent réalistes. De plus, cet hiver, nous n’avons de loin pas vu tous les athlètes de notre équipe qui sont en mesure de concourir au niveau olympique.
Y a-t-il un « mais » ?
Oui. Lors d'une saison olympique, le niveau est toujours beaucoup plus élevé. Les premières performances réalisées aux États-Unis ou en Australie le montrent clairement – pandémie de coronavirus ou non.
Des médailles olympiques en athlétisme semblent donc illusoires ?
Les attendre serait présomptueux. Mais il est permis d’en rêver. L'équipe féminine de relais 4x100 mètres, en particulier, a un énorme potentiel.
Comment expliquez-vous que l'athlétisme suisse évolue à ce niveau incroyable, longtemps considéré comme impensable ?
C'est le résultat d'années, voire de décennies, de travail. Les athlètes ont évolué vers un statut professionnel. À mon avis, c'est la raison pour laquelle nous sommes capables de nous montrer sous notre meilleur jour depuis les Championnats d'Europe 2016 à Amsterdam.
Cette année, Swiss Athletics célèbre son 50e anniversaire. Quels sont les moments forts que vous retenez ?
Trois noms et trois histoires se détachent : les champions du monde Werner Günthör et André Bucher, et le médaillé d'argent olympique Markus Ryffel. J'ai eu des contacts personnels avec deux d'entre eux. En tant que « gosse bernois polyvalent », j'ai pu participer à un entraînement avec Ryffel et son entraîneur Heinz Schild au milieu des années 1970. J'ai passé beaucoup de temps avec Werner Günthör à Macolin lorsque j'étais membre du cadre national de décathlon, une dizaine d'années plus tard. Nous avons fait les tests de condition physique et de nombreux sprints ensemble. Werni était plus rapide que n'importe lequel d'entre nous, décathloniens.
Les championnats d'Europe de 2014 à Zurich ont libéré des énergies nouvelles.
Cependant, les choses n'ont pas toujours été aussi harmonieuses qu'elles l'étaient dans les années 1980 et le sont aujourd'hui.
C'est vrai. En 2004, la fédération était dos au mur. La faillite n'était pas loin.
Comment un revirement a-t-il été possible ?
Les efforts considérables déployés par diverses personnes ont porté leurs fruits. Mais il a également fallu du temps pour que les choses reprennent sur le plan sportif.
Y a-t-il eu une impulsion initiale ?
Le tout est étroitement lié aux Championnats d'Europe à Zurich en 2014, qui ont libéré des énergies nouvelles. Avec notre nouveau partenaire UBS, tout le monde a identifié un objectif. Des actions d'envergure et porteuses d’avenir ont été entreprises, avec, par exemple, le projet « Swiss Starters ».
Dans quelle mesure l'athlétisme suisse profite-t-il encore aujourd'hui de Zurich 2014 ?
L'idée des « Swiss Starters » est toujours d’actualité. Il est essentiel que nous conservions un nombre élevé d'athlètes de haut niveau. De même, nous disposons d'une équipe d’entraîneurs qui rend possible le « Highperformance-Lifestyle » pour les meilleurs athlètes. Mais le plus important est que nos meilleurs athlètes nous montrent où le chemin peut mener.
Cet élan permet également un développement précieux dans tous les domaines.
Exactement. Le sprint féminin sur 60 m de cet hiver illustre bien ce propos. Pas moins de sept athlètes ont atteint la limite de 7,40 secondes pour les Championnats européens en salle. Toutes ont réalisé un temps qui n'avait jamais été atteint par une Suissesse il y a neuf ans. Il y a encore quelques années, personne n'aurait cru cette évolution possible. Une conviction s'est établie : Si vous vous entraînez comme Mujinga Kambunji, Ajla Del Ponte, ou encore comme Lea Sprunger, vous pouvez aller très loin.
Comment expliquez-vous que même la crise du coronavirus n'ait pas été en mesure d'arrêter cet élan ?
En tant que fédération, nous avons proposé des entraînements et des compétitions dès le début. Cela a permis aux athlètes d’avoir des perspectives. Et puisque tout le monde n'a pas abordé la saison avec le même sérieux, certains jeunes ont pu se démarquer. Soudain, ils se sont retrouvés sous les feux des projecteurs.
D'autres tendances ont-elles émergé ?
Sans avoir analysé cela de manière approfondie : Un entraînement de base plus long, en raison du début tardif de la saison, a pu être implémenté de manière étonnamment rapide et efficace. Et l'absence de pression liée aux grands événements a eu un effet libérateur pour beaucoup.

Actuellement, les Suisses occupent des premières places absolues au niveau européen. Cette norme peut-elle être maintenue ?
Il serait présomptueux de le supposer. Toutes les nations ne jouissaient pas des mêmes conditions. Petite précision supplémentaire cependant : nous avons très bien fait en 2020 par rapport à 2019.
Une pierre angulaire importante de cette élite est une fondation solide. Comment avez-vous réussi à ramener l'athlétisme dans les écoles ?
Les projets destinés aux jeunes athlètes, l'UBS Kids Cup et l'UBS Kids Cup Team, le Mille Gruyère et le Swiss Athletics Sprint, connaissent un succès croissant. Les modules que nous avons proposés aux enseignants et aux entraîneurs ont été et sont toujours bien accueillis.
Et est-ce que la détection des talents porte ses fruits ?
Nos efforts pour attirer les talents de cette catégorie d’âge vers l'athlétisme ont un impact. Parmi la jeune génération actuelle d'athlètes de haut niveau, tous ont découvert l'athlétisme grâce à nos projets jeunesse. Une formation adaptée à l'âge joue un rôle majeur à cet égard. L'approche globale est au centre des préoccupations. La spécialisation ne devrait commencer qu'à l’âge de 16 ans.
La pandémie a stoppé ces projets. Avec quelles conséquences ?
Nous risquons de perdre une année ou deux dans nos repérages. Nous le ressentirons à un moment donné. Mais nous travaillons intensivement avec nos partenaires de sponsoring pour nous remettre sur les rails le plus rapidement possible et toucher à nouveau plus de 200’000 enfants et jeunes âgés de 8 à 15 ans.
Comment se porte Swiss Athletics sur le plan financier en ce moment ?
Grâce au paquet de stabilisation 2020 de la Confédération, l'année a été bonne, y compris pour les associations cantonales et les sociétés. L’année 2021 risque d'être plus difficile. En l'état actuel des choses, beaucoup moins de licences seront délivrées. On attend de voir. De ce fait, l'un des trois piliers de revenus en pâtit. Cela laisse des traces. Mais nous ne serons pas dans une situation désespérée à la fin de la saison.
Quelle est l'importance de la coopération avec les autres fédérations en général ?
Très grande : Courir, sauter, lancer est la base de nombreux autres sports. Nous voulons poser les bases. Nous coopérons particulièrement étroitement avec la Fédération suisse de gymnastique, Swiss Triathlon, Swiss Orienteering, le mouvement de la course à pied et le mouvement de la course de montagne/du trail. On peut voir comment cela fonctionne lors de concours multiples, par exemple. Les athlètes talentueux proviennent presque exclusivement des sociétés de gymnastique. Nous les repérons au bon moment et les soutenons en conséquence.
Swiss Athletics a lancé un projet « Avenir 2030 ». Que faudra-t-il pour que l'athlétisme suisse continue à jouer un rôle de pionnier dans dix ans ?
Une professionnalisation plus poussée. Dans les centres d’entraînement dotés d'une infrastructure appropriée, on trouve des entraîneurs hautement qualifiés qui peuvent vivre du sport.